Lumière plateau.
Pénélope arrive du côté jardin en peignoir. Elle sort une
balance de sous le lit. Monte dessus en se cachant les yeux. Soulève légèrement
sa main et soupire.
•
Le
Baba au Rhum à chaque fois que je m’arrête à cette boulangerie sans doute. A
moins que ce soit le grignotage devant le film d’hier à la télé… et
d’avant-hier…et d’avant avant-hier… je ne vois pas pourquoi j’insiste avec toi.
Mauvaise copine !
Un bip sur son ordinateur la fait descendre de la balance
et elle va s’installer à son bureau. Elle regarde ses messages et éclate de
rire.
•
Sexy Jardin ! Rien que ça ! C'est
rigolo ces gars qui ne doutent de rien et surtout pas de leur charisme. Voyons
voir ce qu’il dit celui-ci.
Voix
Off Masculine : « Mais moi je cherche une cochonne
et toi tu es une ours. Alors foutu ou tu es transformiste.
Elle
rit de nouveau puis déclare :
•
Celui-ci,
par son humour, mérite un retour. (Elle
frappe sur le clavier en articulant) C'est vrai, une cochonne c'est
nettement moins poilu et terriblement plus rose.
Elle
se lève et s’étire avant de se placer face public.
•
L'amorce
est lancée, à lui de décider s'il la relève. Ce qu'il fera. Il se racontera,
parlera de son divorce, de ses passions et me demandera d'être précise sur ce
que je souhaite de mon compagnon. Ce que j’attends ? De la considération.
Je ne cesse d'expliquer que je souhaite être respectée telle que je suis, même
si la balance me dit que je ne suis pas la plus belle des poupées…
Je lui répondrais dans
l’après-midi : « Je ne suis pas
certaine d'attendre beaucoup d'un garçon, mais je sais que je cherche un homme
qui voudrait un dialogue sans fin. Une sensualité chaque jour renouvelée.
Je
souhaite un compagnon qui me donne la main en marchant côte à côte sans en
avoir honte.
Quelqu'un
qui saurait m'écouter, qui saurait me dire : tu verras, tout va bien aller.
Ma
conscience, c'est ce que j'ai de mieux à offrir, et je cherche celui qui voudra
bien y goûter, sans la blesser, juste parce que je n'ai pas l'air fragile. Une
femme très charpentée a toujours l'air solide. Résistante à tout. Ce n'est pas
le cas.
Les
maisons les plus imposantes ne sont pas les plus inébranlables. Une misérable
tempête et… elles se fissurent comme les autres.
À
ce chevalier-là, je saurai tout offrir, et l'aimer profondément, s'il a envie
d'être aimé.
Je
veux être du côté de la vie, dans ce qu'elle a de plus beau et de plus doux. Et
j'ouvre mon être pour recevoir avec reconnaissance. »
Pénélope
va derrière le paravent pour se changer.
•
La
tendresse, petit à petit, naît dans nos mots. Il s'enthousiasme, câline à
travers quelques expressions. Il me tutoie gaiement. Il sait si bien me parler
que je me laisse un peu apprivoiser. En quelques jours, nous sommes devenus
familiers l'un à l'autre. Une sorte de proximité d'amoureux étrangers.
Voix Off
Masculine : « Je
t'encourage vraiment à envoyer ta photo, que crains-tu ? Tu as pris de la place
dans mon cœur. Tu me plais déjà. Il n'y a pas de peur à avoir. Tout est presque
déjà gagné pour toi ».
•
(Depuis le paravent) Quelles jolies
paroles... Les douces paroles destinées à aveugler la prudence. À nouveau,
j’accepte de transmettre ma photo.
Pénélope
revient habillée devant la scène, la mine dépitée.
•
Mais
le cliché ne plaît pas à Sexy Jardin
qui instantanément retrouve le vouvoiement, pour bien me faire calculer sa mise
à distance.
Voix
Off Masculine : « Dommage
pour vous, mais j'ai trouvé mon bonheur ».
•
Ce
type, qui lui non plus n'a pas envoyé sa photo, se pense si merveilleux, qu'il
affirme que le regret doit être pour moi. Déplorable pour moi... désolant pour
lui.Il s'arrête au tour de taille,
sans connaître l'esprit, l'humaine et les valeurs inaltérables. Le pauvre n'a
rien compris, n'a pas saisi que des kilos en trop n'ont jamais fait la richesse
ou la médiocrité d'un être. Encore un type obtus au verdict
rapide et simpliste.
Un
bip sur son ordinateur. Elle le regarde brièvement puis va s’asseoir à la table
à cour, tournant le dos à son bureau.
•
Pourtant,
le nigaud a pris la journée pour réfléchir, il me contacte à nouveau, en
employant toujours le vouvoiement, signe de son dégoût :
Voix Off
Masculine : « Madame,
Ce
matin je vous ai répondu que j'avais trouvé mon bonheur, c'est vrai.
Puis
j'ai lu votre message et je suis tombé de haut.
Sur
Le Monde des Annonces, une dame qui écrit des phrases sensées, intelligentes et
sans fautes d'orthographe, bravo, c'est tellement rare que je tiens à vous
féliciter.
Pour
le reste je pense qu'il ne va pas être facile de trouver le vrai et grand
amour. Sur ce site, les gus recherchent des barbies. Ils veulent jouer à la
poupée.
Que
puis-je vous souhaiter ? Le bonheur que votre intelligence mérite. Alors
insistez donc et ne perdez pas courage.
Je
n'ai jamais fait l'amour avec une femme de forte taille, mais je suppose qu'un
homme doit aussi y trouver un plaisir intense, la femme certainement encore
plus.
Si
vous m'accordiez ce privilège, je serais tenté de vivre avec vous cette
expérience. S’il vous venait l'envie de m'accueillir pour une nuit, je vous
rejoindrais...
En
attendant, je vous souhaite donc tout le bonheur que vous méritez et que je ne
peux pas momentanément vous donner, mais personne ne connaît son avenir.
Des bisous partout et une bonne nuit ».
•
Une
vraie girouette. Le matin je détenais déjà une place dans son cœur. Puis le
temps de regarder ma photo, il avait prétendu être sous le charme d'une autre. Il n'est qu'un des nombreux
séducteurs prêts à tous les mensonges. Après tout cela, il complète sa
panoplie de goujaterie en émettant tout de même un doute sur le plaisir sexuel
d'un étalon qui chevaucherait une femme forte. Insiste carrément sur le plaisir
de la femme, assurément plus grand selon lui...
S'il savait. S'il savait à quel
point il se trompe.
Il ne le saura jamais.
Nouveau
bip de son ordinateur.
Voix
Off Masculine : « Vous
êtes grande de taille ? »
•
Ah…
Il recrute sans doute une femme de ménage pour faire ses carreaux celui-ci.
C'est assez pour l'instant. J’ai eu ma dose de crétinerie. Il me faut ma dose
de copines.
Elle décroche son téléphone portable :
•
Martine ?
Un petit verre au café du centre d’ici un quart d’heure ?...Oui ?
D’accord. (Elle se lève et se met face
public) Si je pouvais passer devant cette boulangerie pour prendre deux
babas au rhum ?… Bien sûr… Hein ? Ah non, je ne suis pas allée sur
les sites de rencontres depuis un moment, le travail, tout ça, tu vois bien
quoi… Le gars du cabinet de « Câlinothérapie » ? Et bien, il est
toujours à sa place…dans le bureau. Oui, je sais, je devrais franchir la porte.
Je te laisse, je n’ai presque plus de batterie.
Elle raccroche et sourit de ses pieux mensonges.
•
L'odeur
du cocktail sent aussi bon que le goût de l'amitié. Sans savoir comment le leur
dire, je les aime mes amies, mes partenaires de discussions. Mes acolytes de
débats sur la philosophie et les films de cinéma. D'autant que jamais il ne m’a
été nécessaire de passer des annonces ou de m'inscrire sur un site de
rencontres pour trouver des amis. Je me vois descendre l’escalier et me diriger
vers le café du centre et au passage, près du cabinet de câlinothérapie,
j’apercevrais la longue et élégante silhouette du jeune secrétaire qui me
redonne instantanément une étincelle de joie lorsqu'il me sourit.
Les petits plaisirs de
l’existence, plus savoureux que tous les babas au rhum…
Noir
Interlude
Musicale : air de jazz